Sur Twitter, Anthony Bradley nous a indiqué une page web de Ra McLaughlin sur le Sabbat. Il y a là de bonnes ressources, mais il y a aussi quelques points qui méritent d’être discutés. Celui sur lequel je veux me concentrer dans ce post est l’utilisation de l’expression « la tradition continentale » en ce qui concerne le Sabbat. Comme le reflète cette page, il est largement admis qu’il existe deux points de vue Réformés distincts sur le Sabbat, la position britanniques ou des Standards de Westminster et « la vue continentale ». Il est parfois avancé que la soi-disant « vue continentale » était celle de Calvin. On souligne alors la relative brièveté du Catéchisme de Heidelberg sur le Sabbat et, finalement, on lira probablement quelque chose à propos Cocceius sur le Sabbat. L’implication est, généralement, que ce que l’on appelle la « vue continentale » est moins rigoureuse que la vue britannique.

Cette façon de parler serait surprenante pour la tradition Réformée Continentale. Définissons nos termes. L’adjectif « continental » est un peu glissant. On ne sait pas toujours très bien ce qu’on entend par là. Parfois, il fait référence aux Églises Réformées Néerlandaises. Il pourrait inclure les Allemands, les Français et peut-être Genève. Souvent, à en juger par l’usage, cela semble vouloir dire « des gens Réformés qui ne parlent pas anglais » et qui sont européens. Cette façon d’écrire et de parler repose sur le postulat non énoncée qu’il y avait (et qu’il y a toujours) deux traditions distinctes, l’une européenne (principalement néerlandaise) et l’autre britannique (et américaine). De telles façons de parler et de penser auraient été étrangères aux écrivains Réformés classiques des XVIe et XVIIe siècles. Oui, ils parlaient leurs propres langues vernaculaires, mais ils écrivaient et parlaient tous Latin. Ils étaient tout à fait conscients d’appartenir à une seule tradition Réformée. Les Britanniques Réformés (Écossais, Anglais, Gallois, Irlandais) lisaient les Néerlandais, les Allemands, les Français et les Réformés Suisses et vice versa. À l’époque classique il n’y avait pas la conscience d’une vision distinctement « britannique » ou « continentale » de quoi que ce soit. Il y avait simplement une théologie, une piété et une pratique Réformée internationale.

Considérons quatre cas. J’ai longuement défendu ce point de vue dans RRC, de sorte que je n’y reviendrai pas (le jour de la fête du Travail), mais une grande partie de ce qui a été écrit sur la vision prétendument « continentale » de Calvin sur le Sabbat n’est tout simplement pas bien ancré dans les sources. Ce qui se passe généralement, c’est que des écrivains font appel à un passage ou deux de l’Institution de 1559, puis s’arrêtent là. Cette façon de lire Calvin est profondément erronée. La seule façon de bien comprendre Calvin, c’est de le lire comme il voulait qu’on le lise. Il faut commencer par son commentaire biblique, puis aller à un traité (l’Institution ou autre), et ensuite à ses sermons. Quand on lit Calvin de façon holistique, dans son contexte, sa vision du Sabbat est assez difficile à distinguer de ce qu’est supposé être une vision nettement (et durement) britannique.

Le Catéchisme de Heidelberg (1563) dit du Sabbat :

103. D. Qu’est-ce que Dieu ordonne dans le quatrième commandement?

R. Premièrement, que le Ministère de l’Évangile soit constamment entretenu, de même que les Écoles: que je fréquente diligemment les saintes assemblées, surtout le jour du repos, pour écouter attentivement la parole de Dieu, participer aux Sacrements, joindre mes prières aux prières publiques, et contribuer à l’assistance des pauvres, selon mon pouvoir. Ensuite que tous les jours de ma vie je me repose de mes mauvaises oeuvres, pour n’apporter aucun obstacle à ce que le Seigneur fasse son œuvre en moi par son Saint Esprit; Et qu’ainsi je commence dès cette vie le repos éternel.

La conférence d’Ursinus sur le Sabbat Chrétien a été traduit en anglais et mis à disposition des étudiants de l’Université d’Oxford en 1587, où ses conférences sur le catéchisme faisaient partie du programme. Dans son explication de cette question Ursinus a observé,

Que la première partie est morale et perpétuelle, et que cela est évident d’après la fin et les causes du commandement, qui sont perpétuelles dans leur caractère. La fin ou le but du commandement est le maintien du culte public de Dieu dans l’église ; ou la préservation perpétuelle, et l’usage du ministère ecclésiastique.

Il écrivit que la deuxième partie du commandement était distinctement mosaïque, cérémonielle et temporaire. Il faisait la distinction entre les « sabbats » israélites et  « le Sabbat ». Le Sabbat lui-même était fondé sur la création. Il fait partie de la loi morale permanente de Dieu. Il la distingua d’entre les œuvres serviles, c’est-à-dire celles qui entravent le culte.

Troisièmement, bien que nous pensions au Synode de Dort (1618-1619) principalement en ce qui concerne la doctrine du salut, les Églises Réformées s’y sont réunies pour discuter de plus que de la réponse aux Remonstrants (Arminiens). Ils ont discuté de la vie de l’Église et ils ont formulé une position sur le Sabbat qui n’est pas clairement distincte de celle que tenaient la plupart des congrégations et confessions Réformées britanniques. Le Synode distingua entre ce qui, dans le Sabbat, était perpétuel ou créationnel et ce qui était temporaire ou Mosaïque. L’intention, cependant, de ces règles (canons) sur le Sabbat, adoptées en mai 1619, était d’indiquer clairement que le Sabbat n’est pas abrogé avec l’ancienne alliance Mosaïque.

Quatrièmement, il est souvent affirmé ou sous-entendu que Johannes Cocceius (1603-69) a corrompu le consensus réformé sur le sabbat. Par exemple, l’article de Theopedia affirme : « Dans l’un de ses essais, il affirme que l’observance du Sabbat, bien qu’utile, ne lie pas les chrétiens, puisque c’était une institution juive ». L’image dépeinte dans les textes originaux est cependant plus compliquée. Aux §21 et §338 de la Summa de foedere, il reconnaît que le sabbat est une institution créationnelle. Il enseignât qu’il avait une validité perpétuelle. Il reconnut que la législation Mosaïque du Sabbat était « morale par nature » tout en reconnaissant que les peines qui y étaient attachées, sous Moïse, étaient temporaires et qu’il y avait d’autres aspects temporaires dans la législation Mosaïque. Il observât aussi l’aspect eschatologique (c.-à-d., l’aspect céleste) du Sabbat. Sa doctrine de l’abrogation progressive de l’alliance des œuvres l’amena à soutenir que le Décalogue n’était pas une alliance des œuvres. Il était catégorique sur le fait que l’alliance de grâce était administrée par la législation Mosaïque. Ces sections de la Summa sont difficiles, mais il semble clair qu’il a enseigné que, bien que le Sabbat juif soit un type et une ombre du repos du Sabbat futur qui allait être donné dans la nouvelle alliance, « néanmoins, » écrit-il, « il reste vrai que le [repos du sabbat] du Nouveau Testament doit être observé ainsi que sa sanctification. De toutes les manières possibles le repos du Sabbat du Nouveau Testament peut être considéré, pratiqué et maintenu ».

Il y avait des Coccéiens qui, à cause du contexte polémique passionné de la lutte avec les Voetiens, ont adopté des points de vue plus forts et moins conservateurs sur le Sabbat, je ne suis pas sûr que nous puissions retrouver ces points de vue chez Cocceius, tout comme nous ne pouvons lire l’adoption par certains Cocceiens, d’une épistémologie cartésienne, chez Cocceius lui-même.

Oui, il y a une certaine diversité dans la théologie Réformée classique sur le Sabbat, mais c’est une diversité dans l’unité. Il y a une vue Réformée du Sabbat. Il y a une unité fondamentale sur ce que Dieu a établi un modèle de 1 sur 7 dans la création. A cette loi créationnelle s’ajoutait une législation Mosaïque typologique et temporaire, mais le Sabbat n’était pas fondé sur la loi et l’alliance Mosaïque, mais sur la création, c’est-à-dire sur la nature des choses. Le principe du Sabbat demeura donc en vigueur dans la Nouvelle Alliance. Le jour changea du dernier au premier par la résurrection corporelle du Fils de Dieu et l’inauguration de la nouvelle création mais le principe et la pratique du Sabbat sont demeurés.

Article original disponible ici : https://heidelblog.net/2013/09/are-there-two-distinct-reformed-views-of-the-sabbath/

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