UnPresbytérien est heureux de vous présenter une nouvelle série d’articles sur les grands hommes de notre Église. Cette semaine, nous vous présentons John « Rabbi » Duncan.

Une série d’articles ne suffirait pas à faire découvrir la profondeur et la beauté de John Duncan. Il était un homme aussi génial qu’excentrique, et sa piété était époustouflante. Quoiqu’à son époque personne n’eut pu s’asseoir à sa table, en termes d’érudition et de connaissance, tous gardèrent pourtant de lui un souvenir attendrissant, celui d’un génie doué d’une humilité enfantine. Au milieu des tumultes de sa vie personnelle, et d’une dépression qui ne cessa jamais de le poursuivre, il était un pasteur au cœur tendre qui, plus que quiconque, était capable de comprendre la souffrance et de la panser.
Si Duncan avait beaucoup en commun avec les pasteurs que nous avons déjà présentés dans cette série, il était aussi très différent. Jamais, contrairement à Chalmers, Cunningham et Begg, il ne fut élu modérateur de l’assemblée générale. Jamais non plus il ne voulut écrire pour faire passer son génie à la postérité. Un jour, alors qu’un de ses proches lui suggérait d’écrire un livre, Duncan rétorqua : « Je suis incapable d’écrire, je ne suis qu’un parleur ». C’est de ce parleur magnifique que nous vous proposons maintenant le récit.

I. Jeunesse et éducation

Fils de John et Ann Duncan, John « Rabbi » Duncan nait en 1796 à Aberdeen – quoiqu’il restera, toute sa vie durant, convaincu d’être né en 1797. Ses parents sont des membres respectés de l’Église de la Sécession. Le jeune garçon hérite de son père un caractère intègre, et de sa mère un tempérament chaleureux et doux. Il sera élevé pieusement, dans le plus pure tradition presbytérienne. 

Malheureusement le deuil ne tarde pas à frapper à la porte du foyer puisqu’Ann décède alors que le jeune garçon n’est âgé que de six ans. Quelques temps plus tard son père se remarie et le petit John entretient une relation paisible avec sa belle-mère, ce dont il sera toujours reconnaissant.
C’est à la même époque qu’un autre évènement dramatique viendra marquer son enfance : la garçon contracte la variole et perd la vue d’un œil.

Côté éducation, John fait ses armes à l’école paroissiale. Il y apprend la lecture grâce à la Bible et au catéchisme. Il y découvre également avec Aristote un sujet qui le passionnera pour le reste de sa vie, et dans lequel il excellera : la métaphysique. En 1810 il obtient une bourse pour entrer à l’université. À l’époque il est considéré comme « lent » par ses professeurs et ses camarades. Une belle ironie pour celui qui devait devenir le plus grand érudit de l’Église libre ! 

En 1813 John est accepté comme candidat au ministère dans l’Église de la Sécession. 

II. Candidat au ministère, crise et conversion

Les années 1814 à 1816 constituent la période la plus obscure de la vie de John Duncan. Nul ne sait véritablement tout ce qui s’est passé durant ces trois années. Mais il y a deux choses que nous savons pour sûr : premièrement John demande à être transféré dans l’Église nationale, ce qui se produira effectivement, et deuxièmement, il devient complètement athée. Ainsi débute la grande crise spirituelle de sa vie.

Il décide malgré tout de continuer ses études en théologie. Rapidement un léger progrès s’opère puisque le garçon devient unitarien, c’est-à-dire qu’il croit en Dieu mais récuse la doctrine de la Trinité. C’est à cette époque qu’il se découvre une grande passion, et une grande facilité, pour les langes étrangères. Et pour une langue en particulier : l’hébreu. 

La vie est alors rude pour le garçon qui survit péniblement et misérablement en donnant des cours à ses camarades ou dans des écoles. 

Il achève finalement ses études en 1821 mais refuse de chercher à obtenir sa licence de prédicateur, sachant pertinemment qu’il ne peut pas souscrire à la confession de foi de l’Église nationale (c’est-à-dire la confession de foi de Westminster). Mais cette bonne résolution ne résiste pas au temps : en 1825 il est licencié par le Presbytère d’Aberdeen. L’homme se promet néanmoins de ne jamais enseigner contre la confession de foi. 

C’est en 1826 qu’intervient le moment fatidique de son existence. Duncan rencontre César Malan, venu en Écosse pour être reçu comme pasteur de l’Église nationale, qui l’exhorte à renoncer à la philosophie des hommes et à se confier dans la Bible. Le lendemain Duncan fait une expérience spéciale et surnaturelle : il devient en l’espace d’un instant « le récipient passif de toutes les vérités » qui lui avaient été inculquées lorsqu’il était enfant. C’est le moment de sa conversion. À ce titre, il est intéressant de noter que, malgré cette expérience, Duncan luttera toute sa vie avec l’assurance de son salut. Cette souffrance, pas si commune dans le cas d’un ministre de l’Évangile, aura pour vertu d’en faire un pasteur apprécié, capable d’une grande compassion face à la douleur des autres. 

Entre 1828 et 1830 il se fiance avec Janet Tower qu’il courtise en essayant de lui apprendre le grec.

III. Révérend Duncan 1830-1840

Les deux premières églises confiées à John sont des chapelles. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que les résultats de sa prédication sont pour le moins mitigés. Il est tantôt perçu comme étant trop rigide, tantôt comme étant trop abstrait et difficile à suivre, particulièrement pour les moins érudits de sa congrégation. Mais le jeune homme progresse vite, très vite. L’Église libre se trouve alors en pleine controverse des « Dix ans de conflit » et John attire l’attention du parti orthodoxe et évangélique. Ces hommes décideront de bâtir une nouvelle congrégation spécialement pour que Duncan puisse y être ordonné.  Et c’est ce qui se produit le 28 avril 1836. À la dernière question des vœux d’ordination – « Acceptez-vous et confirmez-vous l’appel à être pasteur de cette congrégation, et promettez-vous, par la grâce, d’accomplir tous les devoirs d’un fidèle ministre de l’Évangile parmi ce peuple ? » – Duncan répondra : « J’espère qu’il en est ainsi ». 

En 1837 il épouse Janet et, ensemble, ils donnent naissance à une petite fille nommée Annie. Hélas, le deuil vient encore sévèrement frapper Duncan puisqu’en 1839 il perd  dramatiquement son épouse et son deuxième enfant. Une indicible tristesse l’envahit. 

Paradoxalement, l’œuvre qui lui a été confiée continue de croître malgré les ruines de sa vie personnelle. Il devient un prédicateur réputé. John Kennedy, dont nous parlerons bientôt et qui possède la solide réputation d’avoir été le meilleur prédicateur de l’histoire de l’Église libre, affirmera ne jamais avoir oublié le sermon qu’il avait entendu de Duncan.

IV. Missionnaire 1840-1843

Dans l’Église libre, la fin des années 30 est également marquée par un intérêt renouvelé pour la mission envers le peuple juif. Initialement l’idée était de commencer une œuvre en Palestine, mais finalement c’est l’Europe de l’Est qui sera choisie en raison de sa forte communauté juive et de l’importante diaspora écossaise qui s’y trouvait. En 1840 Duncan est désigné pour être envoyé à Budapest. Il est l’homme idéal pour une telle mission. En effet, sa facilité pour apprendre les langues étrangères et son amour de l’hébreu en ont fait un véritable érudit de la culture juive. C’est cette érudition incomparable qui lui vaut le surnom de « Rabbi ». 

Parti avec sa nouvelle femme, Duncan restera missionnaire à Budapest jusqu’en 1843. Il décrira ces quelques années comme ayant été les plus heureuses de toute sa vie. Son ministère est couronné de succès : 

  1. Il parvient à apprendre la langue locale en trois mois seulement ; 
  2. Les conversions sont nombreuses (parmi elles la famille Saphir, dont l’un des fils deviendra un pasteur renommé) ; 
  3. Il est apprécié de tous, qu’ils soient protestants ou non. Il devient notamment très ami avec le grand rabbin qui l’invite au mariage de sa propre fille. 
  4. Il se liera d’amitié avec l’archi-duchesse autrichienne Maria Dorothea qui, plus d’une fois, les sauvera d’un grand danger. En signe de reconnaissance il nommera l’une de ses propres filles d’après le nom de l’archi-duchesse. 

En 1841 il rencontre des gros problèmes de santé et se voit contraint d’aller passer du temps en Italie. Il ne revient à Budapest qu’en juin 1843. Sur le chemin du retour il apprend que la Disruption a eu lieu. Immédiatement après son arrivée il reçoit une lettre, signée de l’Église libre, qui le convie à prendre la chaire d’hébreu au Nouveau Collège. Duncan accepte. Retour en Écosse. 

V. Professeur 1843-1870

Sur le papier Duncan avait tout pour devenir un grand professeur. Tout, sauf le principal : le don pour enseigner les autres. D’une manière générale, il est possible de considérer ses nombreuses années passées au Nouveau Collège comme un échec, au moins en comparaison avec les fruits qu’il avait laissés apparaitre lorsqu’il était missionnaire parmi les juifs. Duncan a marqué les élèves du Nouveau Collège par sa passion et sa piété. En effet, l’homme était capable de se laisser absorber longuement par des réflexions sur l’amour de Dieu ou sur l’état de son âme devant Dieu, et ce, devant des élèves remplis d’admiration. Mais son manque d’intérêt pour les choses ordinaires et rudimentaires de la vie en firent un professeur difficile à suivre. À son contact, ses élèves devenaient plus pieux mais pas forcément plus érudit. Il n’est pas impossible que ces manquements aient contribué à rendre l’Église libre et ses ministres plus vulnérables aux assauts de la critique biblique, lesquels ne devaient pas tarder à s’abattre sur le Nouveau Collège. 

Durant toute sa vie Duncan n’eut d’égal à sa piété et son immense savoir que les langueurs de son âme. Et son nouveau ministère, hélas, ne soulagea en rien ses tourments mais contribua plutôt à les accentuer. Rabbi Duncan, et son âme inquiète et sensible, avait beaucoup de temps, trop même, pour penser.

Voilà à quoi pouvait ressembler sa vie à ce moment-là : 

« Les fluctuations extraordinaires de sa santé spirituelle pendant ces années à Édimbourg étaient en grande partie dues à des causes physiques – son extrême irrégularité et son manque de maîtrise de soi. La question d’un étudiant l’intéressait, et le brave homme marchait pendant des heures, discutant du problème posé, totalement oublieux de ses obligations domestiques, et ne permettant pas à son infortuné interlocuteur de le quitter. Il n’était pas rare qu’un domestique le trouve au matin en train de lire dans son bureau, où il était resté assis toute la nuit. Si, par sa propre volonté, le gaz était baissé à une heure fixe, en guise d’avertissement, il continuait à lire jusqu’à ce qu’il soit éteint, se couchait dans l’obscurité et se levait tard, tout juste à temps pour son cours. Je l’ai vu passer des heures à lire les annonces d’un journal continental étranger, alors qu’il aurait dû être occupé à autre chose. Il ne pouvait rien faire de façon ordonnée, mais fonctionnait avec de longues périodes irrégulières de travail et de repos ; une semaine entière d’absorption linguistique ; un jour ou deux consacrés à la métaphysique ; une autre semaine consacrée exclusivement aux exercices religieux ; à nouveau une période irrégulière de lecture de romans et de dispersion dans les journaux. Il est aisément concevable que son absorption par le moindre livre qui se présentait à lui, le fait qu’il suivait si souvent le courant des intérêts passagers au lieu d’y résister, pour ensuite s’affaiblir et s’apercevoir qu’il avait perdu du temps et des occasions de travailler utilement, jetterait une nature aussi sensible que la sienne dans des remords et des reproches qui deviendraient à leur tour excessifs et morbides. »

Avec le recul, les regrets sont immenses. Ô combien Duncan aurait été plus utile s’il était resté missionnaire. Mais à cet homme qui a tant donné, on ne tiendra rigueur de rien. 

En février 1870 John « Rabbi » Duncan meurt. Il est enterré au cimetière Grange d’Édimbourg, à proximité de Chalmers et Cunningham. Et, dans la providence de Dieu, cette place n’est pas usurpée. À tout jamais Duncan restera le génie excentrique de l’Église libre. Un génie d’autant plus attachant que ses faiblesses lui donnèrent un visage profondément humain et ordinaire. En guise de dernier hommage, sa pierre tombale porte l’inscription suivante : 

« En mémoire de John Duncan, professeur d’hébreu et de langues orientales au Nouveau Collège de l’Église libre, à Édimbourg, un éminent érudit et métaphysicien, un profond théologien, un homme d’une tendre piété, et d’un esprit humble et aimant. »

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